Les rues de Lille pendant le confinement
Les rues de Lille pendant le confinement m’ont rappelé les rues de Lille l’été. Il fait beau et les rues sont désertes. Les rues près de chez moi en tout cas. La rue de l’Artois, la rue Jeanne-d’Arc, la rue Barthelemy Delespaul.
J’aime Lille en été, et je dois bien avouer que j’ai aimais Lille confiné.
Vous pouvez traverser la ville et ne croiser personne, à condition bien sûr d’en éviter le centre. Vous ne croiserez que quelques chats, endormis sur le trottoir, ou faisant la sieste derrière une fenêtre. Des chats noirs, des chats blancs, des chats roux.
Il n’y a pas beaucoup de végétation à Lille, et ça fait toujours un petit quelque chose de tomber sur un arbre seul à un croisement. Ou une rose trémière entre deux voitures. Ou un pissenlit entre les pavés sur le trottoir. Et puis les flaques de vomi qui recouvrent les trottoirs sont reparties dans leurs campagnes environnantes avec les étudiants qui les fabriquent.
Oui, les rues confinées de Lille m’ont rappelé Lille l’été.
Au début ne restaient plus que les livreurs en vélo, parcourant de longues rues désertes. À mesure que les jours passaient, que le beau temps s’installait, de nombreux passants se sont mis à parcourir ma rue, la rue Brûle-Maison. Des gens que nous ne voyions pas passer avant. Si bien que certaines après-midi, il y avait sur les trottoirs de la rue Brûle-Maison, plus de passant que jamais.
En allant faire les courses à la boutique bio de la rue Caumartin, à 100 mètres de l’appartement, je croisais toujours les deux ou trois mêmes personnes. Nous attendions ensemble sur le trottoir en nous faisant de petits signes de tête et des sourires, contents de se retrouver, comme si nous nous connaissions depuis toujours, alors que trois semaines plus tôt jamais nous ne nous étions vus.
En allant faire mes courses la journée, à l’heure où d’habitude je suis au bureau, j’ai aussi découvert toute une partie de la population dont j’ignorais l’existence. Les vieux messieurs bien habillés, dans leurs longs impers, avec leurs pantalons à pinces, leurs chapeaux et leurs chaussures cirées. Ils ressemble à des détectives. Ou alors les mamans en vélos, avec leurs enfants dans de petits sièges à l’arrière. Elles connaissent tous ceux qu’elles croisent et elles s’arrêtent à chaque fois pour dire bonjour, et échanger des nouvelles. Si bien qu’elle irait plus vite à pied qu’en bicyclette.
Un matin, dans la rue, notre rue, la rue Brûle-Maison, j’ai entendu des gens parler. Je suis curieux et m’a pris l’envie de regarder ce qui se passait. Avec ma tasse de café, je suis allé à la porte-fenêtre, et je me suis accoudé contre la balustrade. Une fine balustrade de métal noir. À cinq mètres à peine dans la rue, une femme parlait à ses enfants. Des enfants de mon âge. Des enfants adultes.
Elle restait devant sa voiture, une Clio blanche, et ses enfants lui répondaient depuis leur fenêtre. Leur fenêtre du rez-de-chaussée. Comme ça ils discutaient. À l’occasion la mère leur déposait un morceau de gâteau sur le rebord de la fenêtre, puis elle retournait jusqu’à sa voiture, et ils se remettaient à parler. Ils reprenaient le cours de leur discussion. Comme s’ils passaient un moment ensemble à la maison, à se donner des nouvelles autour d’une part de gâteau, mais à la place, c’est dans la rue qu’ils discutaient. Ils étaient coincés chez eux et c’est dans la rue qu’ils pouvaient se retrouver. Converser quelques minutes.
Les petits bouts d’extérieur que l’on voit par la fenêtre faisaient désormais partie de chez nous.