Les chevreuils saouls de Figeac
Chapitre 1 : Le soir
Hier soir au repas, Jean-Claude nous a parlé des chevreuils ivres. Les chevreuils ivres de Figeac. Le printemps venu, poussent sur les arbres des bourgeons, et sur certains arbres, pousse une variété de bourgeons que les chevreuils aiment manger. Seulement quand ils les mangent, ils deviennent saouls. L’année dernière, dans la pâture à côté du jardin, des chevreuils se mettaient à courir dans tous les sens, à tourner sur eux-mêmes, et même à se cogner contre les arbres. D’abord Jean-Claude a pensé qu’ils devenaient fous. Que passait par chez lui une bande de chevreuils détraqués, prêts à semer la terreur parmi la faune de la région. Puis un voisin lui a expliqué le printemps, les bourgeons et les chevreuils ivres.
Tout prenait sens.
Chaque printemps viennent les bourgeons. Je me demande si les chevreuils trouvent certains d’entre eux meilleurs que les autres. Si leur saveur change d’une prairie à l’autre. Peut-être que les bourgeons de forêt sont plus forts, alors que les bourgeons des champs sont plus doux. Ou alors peut-être que certaines années la cuvée de bourgeons est meilleure. Peut-être que certaines années les chevreuils attendent tout l’hiver l’arrivée des bourgeons, et qu’une fois arrivés, ils ne sont pas bons. Alors les chevreuils annulent la fête, rangent les tables et les confettis, et rentrent chez eux se coucher. Peut-être que dans les journaux pour chevreuils, on trouve des articles sur la cuvée de l’année, avec l’avis très détaillé d’experts. D’experts en bourgeons. En bourgeon nouveau. Les bourgeonniers. Ou alors peut-être qu’on y trouve des cartes pour localiser les meilleurs d’entre eux. Classés en fonction de leur type de goût. Les secs et les sucrées. Les forts et les doux. Les floraux et les terrestres.
Chapitre 2 : Le lendemain matin
Ce matin Jean-Claude est allé en ville, à Figeac, Lot, pour acheter du pain. Le long du Célé, il a croisé deux gendarmes, un gendarme et une gendarme, qui poussaient une brouette. Il se demandait ce qu’il pouvait y avoir dedans. Il faut bien dire que des gendarmes qui poussent une brouette le long d’une rivière, n’est pas quelque chose que l’on voit tous les jours. Il les a regardés passer sans trop insister, et il a continué sa route, jusqu’à la boulangerie.
Plus tard dans la journée, il est tombé sur un article de La Dépêche, où il était question de gendarmes secourant un petit chevreuil. Le petit chevreuil était perdu en ville. Il s’est retrouvé dans un jardin où il s’est assommé contre un muret. C’est là que sont arrivés les gendarmes. Ils l’ont emmitouflé dans une couverture, puis dans une brouette, ils l’ont amené jusqu’au bois le plus proche. Là l’animal a retrouvé ses esprits, et ils l’ont laissé s’en aller, « sans attestation de déplacement », précise dans sa conclusion l’article. Il est illustré par une photo avec au premier plan une gendarme souriante, et derrière elle un petit chevreuil dans une pâture, au milieu des pissenlits, l’air titubant. Le regard trouble.
Il avait très certainement abusé des bourgeons.
Des bourgeons nouveaux.
Merci de me ravir de ces belles histoires …
Avec plaisir ! Et merci pour votre gentil commentaire 🙂