Une semaine d’automne à Figeac
L’automne est déjà bien installé. Le ciel est gris depuis deux semaines au moins. Quand nous arrivons au travail, le ciel est gris, et quand nous repartons il l’est encore. Si bien qu’il donne l’impression de ne plus jamais vouloir s’en aller. De vouloir rester là à tout jamais. Régulièrement il se met à pleuvoir, de lourdes pluies froides, puis le ciel redevient gris et nuageux, en attendant la prochaine averse. Les feuilles d’automne ne sont même pas encore vraiment là. Nous avons tous les inconvénients de l’automne sans en avoir les couleurs. Mais ce soir en sortant du bureau, elle regarde le ciel et sourit. Je souris aussi. Le ciel est encore gris. Gris et bas. Demain matin nous partons. Nous partons pour Figeac. Depuis deux semaines il fait gris, et depuis deux semaines au téléphone ses parents disent à Fanny qu’à Figeac il fait beau. Un grand ciel bleu. Une trentaine de degrés. Ils passent leurs après-midis dans le jardin, à profiter du soleil, et leurs fins d’après-midis à la piscine, à se rafraîchir. Il y a encore plus de tomates dans le potager qu’à n’importe quelle moment de l’été. Les branches du figuier plient sous le poids des figues juteuses.
Pour notre arrivée c’est paëlla.
La paëlla du grand-père de Fanny.
Après l’Algérie, ses grands parents ont terminé leur vie en Espagne.
Le lendemain matin nous partons. Il pleut. Devant la gare, de petits groupes de SDF s’abritent sous le hall, ou dans les entrées de la rue Faidherbe. La fontaine n’est plus là. Depuis que je suis petit, il y a toujours eu une fontaine devant la gare, mais elle a été enlevée. A la place il n’y a rien. Juste une bosse de béton noir sur les vieux carrelages rouges. Un jour, je suis passé devant la gare et la fontaine qui avait toujours était là ne l’était plus. C’est aussi simple que ça.
J’ai hâte de retourner à Figeac. Nous y sommes déjà allés l’été dernier, pour les 70 ans de Réjane, la mère de Fanny. Une semaine de soleil, de fleurs et de légumes du jardin.
J’aime la campagne. La campagne française. Elle me rappelle les vacances que je passais chez mes grands-parents quand j’étais petit. J’ai grandi en ville, dans un petit HLM en briques rouges. En face, il y avait de grandes tours blanches, ou plutôt de grandes tours qui avaient été blanches, et qui oscillaient maintenant entre le beige et le grisâtre. A côté, il y avait un grand parc où j’allais faire du football, mais il a été détruit. A la place ils ont mis un périph’. Le périph’ de Lille. Après ça, avec ma bande d’amis nous faisions du football sur un petit parking, notre petit parking, à quelques mètres de chez nous. Nous habitions tous dans le même pâté de HLM. Il y avait un grand mur en briques rouges d’un côté, et un longue rangée d’arbustes de l’autre. Le ballon allait tout le temps se cacher dedans, si bien que je connaissais la carte des arbustes par coeur. Je pouvais m’y faufiler les yeux fermés, entouré des quelques chats qui habitaient là. J’essayais de ne pas trop les déranger. Souvent ils avaient l’air assez content de me voir.
Tous les étés, j’allais une ou deux semaines chez mes grands-parents. Des deux côtés de la famille. Mon père et ma mère viennent tous les deux de la campagne du Pas-de-Calais. De Maresquel-Ecquemicourt et de Vendin-les-Bethunes. Mon grand-père m’emmenait à sa hutte, où on faisait de la barque en nourrissant les canards. Je l’aidais à cultiver son potager. à préparer les poissons qu’il avait pêchés et les faisans qu’il avait chassés. Je passais du temps avec les chiens pendant qu’il bricolait dans le jardin, ou qu’il réparait des vieux objets dans le garage. Il savait tout réparer. Il savait tout bricoler aussi. Un jour, il m’a construit un but de foot dans le jardin. Un but en bois avec des poteaux carrés. Je passais mes après-midis à y jouer pendant que les chiens me regardaient, allongés dans l’herbe. Avec mes cousins, on allait se promener dans les champs, on grimpait aux arbres, on allait pêcher. Ils me racontaient une enfance à la campagne, et je leur racontais une enfance à la ville, assis toute la journée au bord de la rivière. Avec mes cousines, on se promenait dans les champs aussi, on dévalait les pentes, on se roulait par terre, on escaladait les ballots de paille. Un jour il pleuvait, et nous avons passé l’après-midi à courir dans le jardin, à s’arroser avec nos parapluies. La pluie est agréable quand on se met dessous, quand ce n’est pas elle qui nous tombe dessus. Quand la ducasse était là, sur la grande place du village, on allait tirer à la carabine, et quand on rentrait le soir, un bon plat nous attendait. L’odeur venait nous prendre par la main quand on franchissait la porte, et nous conduisait jusqu’à la table de la cuisine. Et puis venait le moment où je rentrais chez moi, dans mon appartement de Caulier, Lille, où je retournais faire du football sur notre petit parking. La campagne me rappelle toujours mes étés d’enfance, et je suis pressé d’arriver à Figeac.
Je l’attend depuis des mois, cette semaine d’été en automne.
Cette semaine d’automne à Figeac.
Rétroliens/Pings