Paul-Henri Guermonprez: à table avec Monsieur Méert
Il y a quelques jours, nous avons rencontré Monsieur Méert. L’historien de la célèbre pâtisserie-confiserie-chocolaterie de la rue Esquermoise, à Lille. Si vous connaissez leurs gaufres, vous ignorez certainement tout d’une des hommes qui se cache derrière.
Pour commencer, il ne s’appelle pas vraiment monsieur Méert. Il s’appelle en réalité Paul-Henri Guermonprez. Tandis que Thierry Landron est le gérant de la maison, Paul-Henri Guermonprez en est l’archiviste, le conteur. Il porte d’épaisses lunettes écaillées, qui font ressortir ses yeux, comme de petits diamants bleus sous vitrine. Il a les cheveux de la même couleur que sa chemise, plus blanche que la plus belle des meringues. Dessus il arbore un veston de velours vert, qui a l’air si doux que l’on aimerait s’y allonger, et s’y emmitoufler pour ne plus jamais en ressortir.
Il a le verbe facile, la bonne humeur contagieuse, et il nous fait visiter la maison en enchaînant les récits et les anecdotes, si bien qu’en ressortant on a l’impression d’avoir fait le tour d’un livre d’histoire. Un beau livre d’histoire. Avec une épaisse couverture en cuir. Drôle et plein de fougue. Un livre d’histoire qui contiendrait tout ce qu’il n’y a pas dans les vrais livres d’histoire. Ceux qu’on laissait dans les casiers du collège pour ne plus jamais les en ressortir.
La boutique Méert n’est que la partie immergée de l’iceberg. Un long couloir recouvert d’un tapis rouge mène au restaurant et à sa grande cour. En bas se cache une cave, et même un tunnel qui passe sous la rue. C’est par là que nous commençons la visite. On y trouve une grande collection. Plein d’objets qui ont fait l’histoire de Méert. De grandes tables, de petites tables, des sculptures. De vieux fours, de vieux ustensiles, de vieux moules. Il nous les présente un à un, comme un enfant présenterait ses plus beaux jouets
Après la cave nous remontons, sortons par l’arrière du restaurant et montons dans les cuisines. Il est passé midi et à cette heure-ci les cuisines de la partie pâtisserie sont désertes. Les plans de travail brillent. Des balais sont posés contre les murs. Les gaufriers se reposent. Des petits gaufriers. Ne pouvant faire cuire qu’une seule gaufre à la fois. Pour qu’elle soit plus belle. Plus nette. Plus parfaite. Nous avons l’impression d’être sur la scène vide d’un théâtre, attendant avec impatience la prochaine représentation.
Puis nous nous dirigeons vers le restaurant, où nous partageons une table. Le poisson est délicat, accompagné de ses jolis légumes verts. L’impression d’une balade au bord de la rivière. En dessert les pâtisseries sont bien sûr délicieuses. Simples et justes.

Comment vous êtes arrivé à être l’historien de la maison Méert, il y a 30 ans ?
En fait, moi, mon activité, c’est plutôt les vieilles pierres. Je suis passionné de vieilles pierres. Et il y a 32 ans, 33 ans, une dame m’a appelée, me disant « nous avons le même notaire, je connais votre maman, j’ai entendu ce que vous faisiez, je vends un immeuble que je n’aurais jamais voulu vendre, que nous avons depuis 250 ans, mais tous les enfants sont en dehors de Paris, le seul qui était souvent dans le Nord vient de mourir brusquement. Donc je ne peux pas laisser en indivision un immeuble, dont le locataire qui était la pâtisserie, ne gère pas, n’entretient pas ». Et donc j’ai repris. Il y avait 3500 m² de libres pour rénover, en accord avec le pâtissier qui avait un bail pour la totalité, j’ai fait des appartements dans les parties non occupées. Et puis, nous avons a signé un accord, et la personne n’a pas tenu ses promesses, elle ne payait pas.
Au bout de dix ans, j’ai repris l’exploitation et les appartements que j’avais vendus, dont je n’arrivais pas à faire les travaux à cause de ce pâtissier qui ne tenait pas ses promesses. J’ai fini par racheter tous les appartements que j’avais vendus, mais beaucoup plus cher. Et après, j’en ai revendu quatre qui étaient au-dessus de la rue Esquermoise. Parce que je n’avais pas les moyens de tout faire tout seul.
Vous re-voulez un peu d’eau ?
Oui
Et vous ne voulez pas un verre de vin rouge ?
Non ça va, on va travailler après alors..
Ah bah oui, justement.
Alors vous qui rachetiez Méert, c’était un accident ?
Oui, ça n’était pas du tout volontaire. En revanche ma famille et moi étions clients depuis toujours. Comme beaucoup. La gaufre, le caramel, les glaces, le bon accueil. Vous savez que la glace avec du caramel a été inventée chez nous, ce qu’Haagen Dazs copie de façon américaine. Nous avons même un poème qu’avait écrit le comte de Flandres pour Modo de Rollez, qui s’occupait des glaces. Il allait jusqu’à dire, mais avec des mots du 18ème siècle, « si vous n’avez plus de vigueur, une glace de chez Rollez c’est formidable ».
(Le poisson arrive.)
Je veux bien toujours du sel et du poivre, s’il te plaît.
Et maintenant la maison Méert fait aussi des brunchs ?
Je ne suis pas encore venu pour le brunch (nous si, et il est extra, regardez plutôt – ndlr).
C’est devenu tellement à la mode, dans beaucoup d’autres lieux, c’est dans les 15 – 20 euros pour de l’avocat et du muesli, des choses qu’on sait faire à la maison. Je préfère payer un peu plus, venir chez vous manger des choses qu’on ne sait pas faire, dans un joli cadre.
Il faut que j’essaye alors, mais je chine à Tournai presque tous les dimanches matin, c’est plus compliqué. Le brunch, je trouve que c’est bien pour des couples célibataires. A Paris, je les testais tous. Il y en avait partout, pas toujours bien. Le moins cher c’était dans les palaces. Le rapport qualité-prix est le mieux.
On peut y rester des heures, tout est beau, c’est calme
C’est vrai, regardez ce qu’ils ont fait au Crillon.
On peut souvent passer à côté des lieux qui ont une image plus luxueuse, alors que ça n’est pas aussi impressionnant que ça pourrait en avoir l’air.
Vous avez vu le Meurice refait? Quand vous allez au bar du Meurice, c’est incroyable. En plus, à côté, il y Galignani, une superbe librairie. Ma fille a fait un stage l’année dernière. Elle logeait chez moi, et tous les matins, je l’emmenais prendre un petit déjeuner dans un palace. Et je lui disais «Mais regarde ce que c’est que le service!». C’est invraisemblable.
Surtout que dans ces métiers, ils sont tous très jeunes. C’est incroyable des gens de 20 ou 25 ans, qui sont capables d’avoir cette prestance, cette non-timidité.
Et vous, vous pouvez l’écrire que le meilleur rapport qualité prix pour des brunchs, et souvent pour prendre un pot, ou un café, c’est dans les palaces ?
Bien sûr !
Serveur : Tout se passe bien, il ne vous manque rien ?
En cœur : Merci. Très bien.
Vous allez souvent dans les boutiques de Paris et de Bruxelles ?
Paris, j’y allais toutes les semaines, j’y vais un peu moins maintenant. L’ancien gérant de Bruxelles est Lillois, il fait le tour de toutes les boutiques toutes les semaines. Nous avons le Marais qui rencontre un beau succès. L’angle du bâtiment est très bien exposé et le gérant est vraiment super. Il correspond bien à la maison Méert. Il a travaillé ici pendant 10 ans, il a fait presque tous les postes. On ne peut pas lui raconter d’histoire sur une expédition, sur la qualité d’un produit.
Au niveau du recrutement d’ailleurs, ça se passe comment ? Ils sont tous faits en majorité à Lille ? Qui s’occupe de les superviser ?
Le plan humain avec nous, c’est très important. Il y a beaucoup de gens qui sur leur CV, veulent écrire qu’ils ont été trois ou quatre ans chez Méert. En général, nous leur disons de venir au minimum trois ans. Autrement, on ne dira rien de mal mais rien de bien non plus. Ils le comprennent bien. C’est logique, si c’est pendant uniquement un an et demi, ça n’est pas rentable pour la maison.
Il y a pas mal de chefs qui vont faire quelques mois chez un étoilé, quelques mois chez un autre, pour avoir un CV long, les plus beaux noms de la planète
Si c’est trop rapide, ça ne va pas. Mais Monsieur Méert, qui est Belge, arrive vers 1860. Il travaille à Anvers, dans une société de transport maritime. Il voit les bateaux revenir avec des épices, ça le fait rêver. Il va faire un tour de 8 ans. Il va découvrir la vanille à Madagascar, il va découvrir le cacao, le thé. Et après tout ça, il se dit «bon allez, je m’installe».
Pour finir, il fait le tour de grands confiseurs. D’abord à Istanbul où il y avait un très grand roi du loukoum. Après il va à Vienne chez ce qui est devenu Demel, et à Paris, chez Rumpelmayer (qui est devenu Angélina).
Puis il compte s’installer à Paris. Rumpelmayer lui conseille d’attendre car ils travaillent beaucoup avec Lille, où il y a des gens incroyables.
Alors il vient à Lille, pour voir. Puis, il trouve que la fille du patron est peu farouche, les sacrements sont passés par là, et il lui fait quatre enfants. En plus, il a apporté la recette de la gaufre pour la maison Méert, et le beau-père était riche, le bonheur.
En cuisine, le chef est là depuis moins d’un an ?
Oui, mais il était là depuis des années. Il est très jeune. Il est pâtissier. Il est chez nous depuis 17-18 ans. Il est parti trois ans. Il est très fort. Ce n’est pas un marrant et c’est un chef chocolatier formidable.
Avoir le tempérament pour être pâtissier, c’est déjà vouloir tout faire parfaitement.
C’est vrai. Vous avez raison. A Lille, nous en avions un qui était un vrai excentrique. Nous faisions de la petite restauration, des quiches et quand nous avons réaménagé le sous-sol qui n’était pas utilisé, nous nous sommes dits : il faut aussi que ça déménage. Mais à gérer. Impossible. Il hurlait sur les collaborateurs, et ça, ça nous tue. Nous avons déjà dû intervenir, on entendait du restaurant hurler dans la cuisine. Ce n’est pas en hurlant que vous réglez des problèmes.
J’ai l’impression que ça change petit à petit dans le monde de la cuisine, il y a de plus en plus de chefs qui commencent à prendre leur distance par rapport à ça.
Mais vous voyez, vous avez un bon chef. Nous avons un article, deux articles, tout le monde se copie un petit peu. Puis, quatre clients arrivent dans des voitures énormes. Des cigares. Ils demandent pour aller dans la cour pour fumer. Ou ils ne demandent pas. Ils veulent féliciter le chef. Ils lui tirent sur la veste quand il vient leur demander « alors ça vous a plu ? ». Puis ils lui disent « alors mon petit, avec le talent que tu as, on va t’aider à t’installer ». Nous savons très bien qu’au bout de quatre ans, tous, ils rêvent de s’installer.
Comment est-ce que vous gérez toutes ces ambitions ?
Hier, par exemple, nous avons râlé. Nous avons vu arriver des assiettes en terre cuite flammée. On peut avoir envie de faire ça, mais chez Méert, les gens viennent pour trouver quelque chose. Une assiette le plus sobre possible, un peu de gold quand même, pour justifier le prix, mais tout doit être comme ça.
Notre souci ici, c’est que les gens se passionnent pour la maison et ont envie de contribuer. Nous avons sans arrêt des propositions. Propositions qu’il faut gérer sans casser les gens car ce n’est pas le but.
Deux fois, nous avons eu des chefs qui nous disaient « vous allez être content, j’ai préparé une nouvelle carte de chocolat. » Et là, nous répondons « Qui vous a demandé ça ? ». « Non mais j’ai pensé… ». Oui mais, vous avez le chocolat au piment, le chocolat avec un Whisky et puis avec du poivre. Mais les gens qui viennent ici, ils veulent reconnaître ce goût qu’ils connaissent chez Méert. Alors on peut avoir 15% de choses qui pétillent, mais sinon c’est très Proustien comme recherche ici.
(Arrivée de la carte des desserts.)
Qu’est-ce que vous préférez ?
Moi, j’ai la chance de ne pas être trop gâteau, mais par conscience professionnelle, bien sûr, j’en mange (rires). J’aime bien le Millefeuille, j’aime bien le Merveilleux, je vais d’ailleurs prendre le Merveilleux. Le Safari est extra. Le Saint-Honoré, ça parait simple, mais c’est parfait.
Il y a l’émission de Franck Ferrand qui est venue ici il y a deux ans. Nous avons fait venir Casadesus (chef d’orchestre fondateur de l’orchestre national de Lille – ndlr). Franck Ferrand lui demande: «Avec qui êtes-vous venu ici?» Alors il lui donne des noms que nous connaissions déjà, et puis d’un seul coup, il dit :
« Ah oui, et puis je suis venu avec Paul McCartney »
Nous l’ignorions.
« Et puis je suis venu avec Lady Di ».
Ah bon ?
Vous voyez, des histoires de dingue. Pour un « petit pâtissier du coin », nous vous ramenons quand même qui nous voulons.
Même en connaissant le lieu depuis trente ans, vous en découvrez encore tous les jours ? Il n’y a pas le temps de s’ennuyer.
Ah oui. Nous avions fait une visite aux archives de Paris, pour présenter en même temps le livre «Nos illustres gourmands». Avec signature après la visite, en compagnie de Franck Maubert et de Pierre Le-Tan. Nous avions prévu un joli parterre au premier rang : Françoise et Alain Souchon, Micky Wolfson, le plus grand collectionneur sur terre. Il y avait aussi Nicole Salinger.
Nous présentons les différentes personnes, et nous essayons de dire de petits mots amusants pour que ça soit léger. Et, en m’adressant à Nicole Salinger, je lui rappelle cette fois où elle était dans l’avion avec son mari. Elle lui disait qu’elle avait des amis à la maison, et lui demandait ce qu’elle pouvait cuisiner. Alors son mari lui demande quel genre d’amis. Elle lui répond « Elizabeth Taylor, Robert Morton, peut-être les Kennedy ». Elle me coupe et nous dit: «D’ailleurs, Jacky, quand elle venait, elle me demandait toujours de prévoir des gaufres». Alors comme il y avait 40 journalistes sur les 300 personnes qui ont entendu ça, vous imaginez un peu.
Ça vous amuse encore toute la partie événementielle ?
Je salue, voilà. Je salue. Avec la maison Méert, nous avions organisé un voyage, encore avec Nicole Salinger. Ce n’est pas dans le livre car nous ne le savions pas à l’époque. Nous étions reçu à Chartwell (résidence de campagne dans le Kent – ndlr), chez le petit-fils de Churchill. Nous lui offrons une boîte de gaufres, et il nous demande si nous connaissons l’anecdote de son grand-père. Nous lui répondons «absolument pas».
En 1914, pendant la guerre, il était venu à Lille. Pour le taquiner, certains lui ont dit « Les gaufres, c’est le dessert favori du général De Gaulle», et il répondait «Mais oui, là-dessus, je suis d’accord ».
Alors ce sont des références, mais heureusement que nous avons ça, parce que pendant 15 ans, nous perdions de l’argent. Maintenant, c’est équilibré, nous en gagnons un peu.
Ça ne doit pas être évident de s’installer en Belgique, avec l’idée de gaufre belge.
Ils sont racistes (rires). Avec les Français. Alors que nous avons beaucoup de Belges ici. Mais ce n’est pas pareil, et c’est normal. Il faut bien être chauvin.
(Le Merveilleux arrive.)
Ah ça c’est du sérieux.
Pour le Merveilleux et les autres classiques, est-ce que vous avez une marge de manœuvre pour les adapter?
De temps en temps, nous pouvons nous tromper. Mais il y a des choses qui ne bougent jamais. La gaufre, ça ne bouge jamais. Souvent les journalistes nous disent « la gaufre d’accord, mais c’est sucré ». C’est pour ça que la maison Méert en fait des minis, mais les gens en mangent trois petites au lieu d’une grande, que voulez-vous que je vous dise (rires).

Découvrir Méert:
– Méert Lille: 25-27 rue Esquermoise – 59 000
– Méert Bruxelles: 7 Galerie du Roi – 1000
– Méert Paris: 16 rue Elzevir – 75 003
