De passage à Paris
Comme à chaque fois que nous sommes à Paris, ce n’est pas pour Paris que nous sommes là. Nous ne sommes que de passage. De passage à Paris. Entre deux trains. Comme dans une aire d’autoroute. Ou un hall d’aéroport. Aujourd’hui nous sommes arrivés de Lille ce matin, Gare du Nord, avant de repartir vers Figeac ce soir, Gare d’Austerlitz.
Dans un train de nuit.
L’un des deux derniers de France.
Nous prenons le métro pour changer de gare. Comme à chaque fois que nous sommes dans le métro parisien, tout le monde a l’air triste, et je me sens triste moi aussi. Une tristesse pesante. Poisseuse. Dans laquelle je m’enfonce doucement. Une tristesse passagère. Qui s’évapore dès que je retourne dehors.
Le métro parisien semble avoir ce pouvoir. Le pouvoir de rendre triste n’importe qui. Homme ou femme. Grand ou petit. Blanc ou noir. Brun ou blond. Gros ou mince. Droitier ou gaucher. Lâche ou courageux. Savant ou con. Drôle ou ennuyeux. Riche ou pauvre. Heureux ou dépressif. Joyeux ou mélancolique. Peu importe. Le métro parisien sera pour lui tristesse. Même les chiens ont l’air triste dans le métro parisien. La queue immobile. Les oreilles plaquées en arrière. Les yeux baissés. La respiration lente. Le métro parisien est un de ces monstres de dessin animé, grand et sombre et fort, qui peut changer de forme, de taille et de couleur, pour s’adapter à la personne qu’il a face à lui. Un de ces monstres que l’on aime détester. Que l’on préfère éviter. Mais que l’on apprécie retrouver.
Finalement nous sortons du métro, la tristesse s’envole au-dessus de la Seine, avec un gros pigeons gris. Nous la longeons jusqu’à Notre Dame, puis remontons dans la ville, pour aller manger des sushis. Des sushis chez Sushi-B. Des sushis que l’on mange sur un comptoir, dans une petite pièce beige, comme dans un nuage flottant hors de Paris, du monde et du temps. En regardant le maître préparer les sushis devant nous, comme par magie. Quelques gestes rapides, avant de les poser, beaux, simples et colorés. Délicieux. De petits morceaux de bonheur, comme une offrande divine préparée rien que pour nous.
Après cette pause paisible pour oublier le tumulte parisien, nous continuons à pied jusqu’au Jardin des Tuileries, où nous nous asseyons sur une de ses chaises vertes. Nous trouvons un petit endroit au calme, face à une petite mare, avec des canards, et nous les regardons plonger et remonter, plonger et remonter. Une petite fille ramasse des marrons avec son père. Un garçon joue au football avec son frère. Un peu plus loin un homme change la pellicule de son appareil photo. Nous mangeons des pâtisseries, que nous avons achetées un peu plus tôt sur la route, puis je lis un peu, en regardant passer les gens entre deux chapitres. Fanny s’endort sur mon épaule. Quand elle se réveille, nous allons au cinéma.
Après le film nous retournons en marchant à la gare d’Austerlitz. La nuit est tombée. Paris semble différente la nuit. Plus sombre. Plus mystérieuse, plus dangereuse. Noir et lumineuse. Avec ses enseignes colorées qui se détachent dans la nuit. Nous allons manger chez Bibimbap , un petit restaurant coréen à côté de la gare puis retournons prendre le train.
Six couchettes par cabine. Six petites couchettes, de deux mètres de long à peine. Si bien que ma tête touche la paroi d’un côté et mes pieds de l’autre. Je m’endors rapidement, bercé par le train. Je me réveille toutes les demi-heures pour me rendormir aussi tôt.
Les longues rues identiques, les façades qui se répètent à l’infini, m’hypnotisent à chaque fois que je suis de passage à Paris. Si bien que j’ai l’impression de somnoler à moitié dès que je m’y promène. Comme dans un de ces rêves étranges où l’on passe d’un lieu à un autre sans transition. De la jungle à une chute d’eau, de la chute d’eau à un grand escalier en bois, puis à un petit salon bordeaux avec une cheminée de flammes bleues. C’est comme ça que je me rappelle Paris. Un tas de rues beiges, un grand parc vert, des sushis sur un nuage blanc, un cinéma rouge, et une gare froide où les navetteurs quittent Paris alors que depuis longtemps déjà il fait nuit.
Rétroliens/Pings