La nouvelle au ciel bleu
J’aime les nouvelles. J’aime en écrire et puis j’aime en lire aussi. Les nouvelles ça va vite et puis plein de thèmes s’enchaînent. Je pensais écrire une nouvelle là-dessus. Une nouvelle sur les nouvelles. Elle pourrait commencer par : « J’aime les nouvelles ». On peut écrire des nouvelles de toutes les tailles et on peut écrire des nouvelles sur tous les sujets. Sur le sujet que l’on veut. Sur les rêves que j’ai faits cette nuit par exemple. Souvent je ne m’en souviens pas tellement mais aujourd’hui si. Aujourd’hui je m’en souviens très bien. Comme si je les avais vécus éveillé. Comme si je les avais vécu pour de vrai. Dans mon rêve, je faisais du football.
Je fais du football presque toutes les nuits, dans mes rêves.
Je joue au football avec la tenue rouge et noire de l’O.S. Fives, le club ou je jouais quand j’étais petit. Petit jusqu’à mes quinze ans. Dans mon rêve, je jouais au football et j’étais de nouveau enfant. Je jouais avec mes coéquipiers de l’époque. Je suis de nouveau enfant mais je suis aussi le moi que je suis maintenant, alors je joue au football avec beaucoup d’intelligence. Beaucoup de maturité. Je fais un bon match. Je fais toujours de bons matchs, dans mes rêves. Dans mes rêves j’aurais été un très bon footballeur. Je joue au football à la première personne. Je ne me vois pas jouer. Je joue. Je fais de belles passes et je porte des crampons noirs. Je ne vois pas contre quelle équipe je joue mais je vois très bien le stade. Je le reconnais. C’est le stade de Fives. Avec autour les grands immeubles roses et les maisons de briques. Des maisons défraîchies. Des maisons de briques rouges et sales ou des maisons de briques peintes et sales aussi. Depuis le stade, on voit au loin la vieille usine abandonnée. En briques elle aussi. Elle a été abandonnée toute ma jeunesse, ma jeunesse quand je jouais à Fives, puis elle a été abandonnée quand j’étais adulte et qu’à Fives je n’y habitais plus. Mais il y a eu des travaux et maintenant l’usine n’est plus abandonnée. Non. C’est ma mère qui me l’a dit. Au téléphone.
Elle travaille encore dans le quartier et toutes ces années elle a continué à y aller tous les jours, alors que pour moi ce quartier c’était le passé. C’est comme si elle continuait d’aller travailler tous les jours dans le passé. Comme si elle travaillait dans de vieux souvenirs. Au téléphone, elle m’a dit que les travaux de l’usine avaient bien été faits. Bien pensés. Dans l’ancienne usine, qui a maintenant de belles briques bien rouges, il y a des appartements, une bibliothèque, une piscine, une résidence pour personnes âgées et des espaces verts. Il y a même un petit parc. À Lille. Cette ville où des parcs il n’y en a pas.
Tout pour faire de Fives ce que Fives n’est pas.
Tout pour que Fives ne soit plus Fives. Les prix augmenteront et les épiciers qui sont là depuis toujours dans les rues de Fives fermeront et à la place il y aura des lieux pour faire du coworking ou des concept-stores. Ou alors d’autres épiceries. Des épiceries fines celles-ci. À l’intérieur tout sera trois fois plus cher qu’avant et tous ceux qui ont toujours habité Fives ne pourront plus y faire leurs courses. Elles seront tenues par des blancs. Des blancs qui ne sont pas du quartier. Des blancs qui auront fait une école de commerce. Ou alors une école de communication.
Après le football dans mon rêve, je suis dans notre vieil appartement. Au 1/13 rue de l’Alma. Dans les petits HLM de briques. C’est un lieu que je visite souvent dans mes rêves. C’est l’été. C’est toujours l’été dans notre vieil appartement dans mes rêves, alors que nous y avons vécu toutes les autres saisons aussi. C’est l’été et il y a le soleil et il y a le ciel bleu et les arbres de la rue Eugène-Jacquet sont beaux et grands et verts. Il y a une belle lumière. Une lumière de fin de journée d’été. Une belle lumière qui ferait une belle photo. Je pense toujours en photo quand il y a une belle lumière. Le reste du temps, je pense en haïku. Il y a la belle lumière dans la rue et sur les grands immeubles blancs d’en face et sur les voitures le long de la route et sur les trottoirs et sur les passants et sur les enfants qui jouent et sur les jeunes aux pieds de l’immeuble et sur les arbres et sur leurs feuilles bien vertes et la fenêtre et partout dans l’appartement. De petites poussières volètent dans les airs. La télé est une grosse boîte noire. Je suis encore un enfant.
Après la belle lumière dans mon rêve, c’est la nuit. La nuit et je suis dans mon lit. Dans mon lit dans notre vieil appartement dans ma chambre au papier peint Roi Lion. Dans le lit superposé. Avec en-dessous des rangements. Tout près du plafond. Dehors ce sont les émeutes. Les émeutes et il y a des cris et des lumières et du feu et des explosions et je regarde tout ça depuis la fenêtre. Il y a les émeutes comme il y en a eu quand nous y habitions et comme il y en a encore en ce moment. Il y a des émeutes à nouveau en France et à Lille et dans le quartier où j’ai grandi. Il y a des vidéos avec des policiers d’intervention qui se baladent la journée dans la rue, équipés comme pour la guerre, mais autour au lieu du désert et des ruines comme d’habitude sur les images de guerre, ce sont les rues de mon enfance. Les policiers de guerre marchent comme des cowboys en pointant leurs grosses mitraillettes sur les gens qu’ils croisent. La France est en guerre contre elle-même et ce sont toujours les mêmes qui meurent. Et tout le reste du pays s’en fiche. Il est bien trop occupé à penser aux vacances qui arrivent, avec le soleil, la crème solaire et les glaces à la menthe. Et les gens dans les vidéos, ils marchent comme si de rien n’était, avec les grosses mitraillettes des policiers d’interventions pointées sur eux.
Après la nuit dans mon rêve, c’est le jour et je vais au collège. Je suis toujours un enfant et c’est le lendemain d’une nuit d’émeutes. Je vais prendre le métro et tout autour dans la rue, il y a des choses brûlées, et tout autour dans la rue, il y a des choses cassées, et des policiers passent en me pointant de leurs grosses mitraillettes, avec leurs armures et leurs casques et leurs cagoules et leurs lunettes noires, sans visage et sans regard, même plus humain, et même dans un rêve, ce n’est pas très agréable de se faire viser à la mitraillette et je me réveille et je suis dans mon lit, dans notre chambre de Capdenac-Gare, et un moustique siffle dans mes oreilles. Il siffle dans mes oreilles et je me tourne et je me retourne dans le lit, et j’envoie mes mains gifler l’air pour essayer de l’éloigner et il revient toujours me siffler dans les oreilles. Voilà que mon plus gros problème est de nouveau le bruit d’un moustique. Voilà que je suis de nouveau du bon côté de la France. Le côté où la vie est plus facile. Où il y a des maisons avec des jardins et des fleurs dedans. Et je regarde le plafond bleu de la chambre et je vais me faire un café et c’est le début d’une nouvelle journée. À Capdenac-Gare c’est l’été et le ciel est bleu. Tout bleu.
Après le football dans mon rêve, je suis dans notre vieil appartement. Au 1/13 rue de l’Alma. Dans les petits HLM de briques. C’est un lieu que je visite souvent dans mes rêves. C’est l’été. C’est toujours l’été dans notre vieil appartement dans mes rêves, alors que nous y avons vécu toutes les autres saisons aussi. C’est l’été et il y a le soleil et il y a le ciel bleu et les arbres de la rue Eugène-Jacquet sont beaux et grands et verts. Il y a une belle lumière. Une lumière de fin de journée d’été. Une belle lumière qui ferait une belle photo. Je pense toujours en photo quand il y a une belle lumière. Le reste du temps, je pense en haïku. Il y a la belle lumière dans la rue et sur les grands immeubles blancs d’en face et sur les voitures le long de la route et sur les trottoirs et sur les passants et sur les enfants qui jouent et sur les jeunes aux pieds de l’immeuble et sur les arbres et sur leurs feuilles bien vertes et la fenêtre et partout dans l’appartement. De petites poussières volètent dans les airs. La télé est une grosse boîte noire.
Je suis encore un enfant.
Après la belle lumière dans mon rêve, c’est la nuit. La nuit et je suis dans mon lit. Dans mon lit dans notre vieil appartement dans ma chambre au papier peint Roi Lion. Dans le lit superposé. Avec en-dessous des rangements. Tout près du plafond. Dehors ce sont les émeutes. Les émeutes et il y a des cris et des lumières et du feu et des explosions et je regarde tout ça depuis la fenêtre. Il y a les émeutes comme il y en a eu quand nous y habitions et comme il y en a encore en ce moment. Il y a des émeutes à nouveau en France et à Lille et dans le quartier où j’ai grandi. Il y a des vidéos avec des policiers d’intervention qui se baladent la journée dans la rue, équipés comme pour la guerre, mais autour au lieu du désert et des ruines comme d’habitude sur les images de guerre, ce sont les rues de mon enfance. Les policiers de guerre marchent comme des cowboys en pointant leurs grosses mitraillettes sur les gens qu’ils croisent. La France est en guerre contre elle-même et ce sont toujours les mêmes qui meurent. Et tout le reste du pays s’en fiche. Il est bien trop occupé à penser aux vacances qui arrivent, avec le soleil, la crème solaire et les glaces à la menthe. Et les gens dans les vidéos, ils marchent comme si de rien n’était, avec les grosses mitraillettes des policiers d’interventions pointées sur eux.
Dans mon rêve, ensuite, il fait jour et je vais au collège. Je suis toujours un enfant et c’est le lendemain d’une nuit d’émeutes. Je vais prendre le métro et tout autour dans la rue, il y a des choses brûlées, et tout autour dans la rue, il y a des choses cassées, et des policiers passent en me pointant de leurs grosses mitraillettes, avec leurs armures et leurs casques et leurs cagoules et leurs lunettes noires, sans visage et sans regard, même plus humain, et même dans un rêve, ce n’est pas très agréable de se faire viser à la mitraillette et je me réveille et je suis dans mon lit, dans notre chambre de Capdenac-Gare, et un moustique siffle dans mes oreilles. Il siffle dans mes oreilles et je me tourne et je me retourne dans le lit, et j’envoie mes mains gifler l’air pour essayer de l’éloigner et il revient toujours me siffler dans les oreilles. Voilà que mon plus gros problème est de nouveau le bruit d’un moustique. Voilà que je suis de nouveau du bon côté de la France. Le côté où la vie est plus facile. Où il y a des maisons avec des jardins et des fleurs dedans. Et je regarde le plafond bleu de la chambre et je vais me faire un café et c’est le début d’une nouvelle journée. À Capdenac-Gare c’est l’été et le ciel est bleu. Tout bleu.
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